Adapté du récit de Joseph Ponthus paru en 2019 (A La ligne, ed. de La Table ronde) pour un comédien et un musicien, nous transposons le parcours de cet ouvrier sur le ring du combat ordinaire, électrique et poétique.
Feuillets d’usine
Chanter en poussant ses carcasses, invoquer Apollinaire sur les chaines de production de crevettes ou dans le chaos sanglant de l’abattoir. A la ligne, il y va dès l’aube, “à l’heure où blanchit la campagne”. Il souffre en pelletant des tonnes de bulots mais récite de la poésie. Son corps résiste. Parfois il en pleure de fatigue. C’est son travail, c’est comme ça. Il faut bien payer les croquettes du chien Pok-Pok.
Comment ne pas tomber dans l’aliénation du travail répétitif, bruyant et épuisant et garder sa liberté dans cet abrutissement ? Joseph perçoit pourtant dans le glauque de l’usine sa paradoxale beauté. Là est sa force. Il détecte l’humanité dans l’inéluctable de la machine. Et l’amour, en arrière plan que l’on devine comme un amarrage à la vie.
NOTE D ‘INTENTION
Je fus saisie dés les premières lignes. Par la forme peut-être ? Ou par le fond ? Plus précisément par cette forme qui dépeint ce fond. Un style décalé, inhabituel pour un sujet que j’imaginais d’un réalisme froid et cru.
C’est une langue qui donne envie d’être dite. Je n’ai pu m’empêcher de prononcer certains paragraphes, de les faire résonner. Il m’a alors semblé évident qu’il y avait dans sa rythmique et sa poétique une palette de jeu et une force théâtrale.
C’est dans un contexte social hypertendu que nous abordons ce travail. Je perçois sur cette ligne le rythme de nos vies qui défilent avant de s’épanouir. Un mouvement perpétuel, une mécanique imparable que nous ne contrôlons pas. Dans les revendications qui retentissent de la rue qui gronde, nous crions le désir d’une vie plus juste, plus belle et apaisée. Mais ce cri semble vain. Est-ce inéluctable ? Sommes-nous condamnés à nous échiner sur des lignes ?
Au fil de la lecture m’est apparu un univers, qui pourtant éloigné de mon expérience m’a semblé familier. Sans réellement connaître la vie du personnage, nous explorons son intimité. Son rapport à l’usine reste pragmatique. Il ne tend jamais vers le misérabilisme mais entrevoit la folie du monde. Ce monde que nous subissons plus que nous le construisons et qui nous oblige à abandonner l’idée d’un avenir meilleur. Malgré la fatigue, l’épuisement, l’écrasement parfois, il reste une parcelle inatteignable, une île indomptable, qui donne l’espoir, la vie, l’envie et une folle faculté à tenir, résister comme une révolte intime.
Il y a enfin le rapport à l’être aimé. l’usine est une parenthèse, une partie de la vie mais pas « La vie ». Elle est un mal presque nécessaire, un moyen mais pas une fin en soi. Elle permet de s’adonner à la vie. L’usine c’est les coulisses du monde auquel on aspire, poésie chanson et l’amour évidemment.
d’après Á la Ligne, feuillets d’usine de Joseph Ponthus (éditions La table ronde) / mise en scène : Nathalie Albouy / jeu : Sébastien Turpault / musicien et composition : Matthieu Courège / Lumière : Pascal Moreau / Chargée de diffusion : Naéva Badour