Venez découvrir Les Carnets de Création du Cid, un ensemble de schémas photos et croquis vidéos, qui évoluent avec la création.
Chimène, l’Infante et Rodrigue sont des enfants qui rêvent du monde d’après mais que l’on contraint à l’ancien archaïque et barbare, où le sang fait loi et où la parole des femmes se perd dans l’indifférence. Chimène hurle dans le vide, l’infante se tait à tue-tête et Rodrigue impuissant malgré sa force, fuit aussi lentement qu’il peut.
Jouer Le Cid dans la rue, c’est amener ces vers à l’air libre et chercher ce qu’ils racontent de notre époque.
Le Cid est un monument éparpillé dans les mémoires (Ô rage, ô désespoir?) . Nous le reconstruisons avec ce que nous avons et qui peut encore servir : des comédien·nes, un musicien, des marionnettes, des sons et des tambours, un vélo, du carton et des voiles, pour donner à entendre et à voir.
Note d’intention
Je voulais travailler sur un classique.
Pour m’y frotter, m’y confronter, m’y frictionner. Du constat simple et peut-être erroné, que notre patrimoine culturel se délite, je voulais travailler sur un classique pour voir ce qu’il me raconte et comment je peux parler au plus grand nombre avec un vieux machin.
Le but n’est pas de «redonner un peu de culture à ces pauv’s gens !» mais d’essayer de susciter l’envie. Celle qui nous a manqué à l’école,quand par hasard, on a croisé un ou deux grands classiques de théâtre. Cette langue ? Ces vers ? Même excellemment servis par un professeur passionné, mais qui avait un mal de chien à nous tirer de notre torpeur tellement tout cela pouvait paraître désuet et qu’en plus c’était du travail et qu’en plus ce serait noté ! Si chacun se souvient vaguement de «Ô rage Ô désespoir, …» (c’est dans le Cid ça ?) parce qu’il fait partie de l’inconscient collectif ou parce qu’on a été contraint de l’apprendre, il ne nous a, en revanche, pas appris grand-chose.
Aborder le théâtre par le texte et son analyse littéraire n’est pas la voie la plus facile. Elle est souvent vouée à la catastrophe. Mais aller au théâtre, ressentir, se laisser toucher, accepter sans broncher les conventions parce notre corps entier et tous nos sens sont en éveil, est bien plus réjouissant.
L’histoire est simple : Chimène aime Rodrigue. Rodrigue aime Chimène. Et leurs pères sont d’accord, mais se disputent. Trop vieux pour se venger (c’est là : «Ô rage Ô désespoir») le père de Rodrigue lui demande de le faire à sa place. Et Rodrigue tue le père de Chimène. Rodrigue peut-il encore épouser Chimène ?
Évidemment vu de notre 21° siècle, la réponse est : «Non !» «Ah ? C’est tout ? Bon allez on fait quoi maintenant ? On rentre ?»
Non, parce qu’il y a aussi l’infante qui aime aussi Rodrigue mais qui ne peut pas l’avoir pour la simple raison qu’il n’est pas fils de roi. (Alors que elle si!)
Tout est là. Nos héros, Rodrigue, Chimène, L’infante, se débattent avec le monde dont ils rêvent et celui si archaïque, barbare et patriarcal qu’on leur a transmis. Ils font combattre leur puissant Amour avec leur Honneur ravageur. C’est l’ancien monde contre le nouveau.
Je vis sur une planète qui se dégrade un peu plus chaque jour. Nous épuisons notre unique lieu de vie comme si nous n’étions pas responsables de cet effondrement. Nous laissons dépérir notre patrimoine unique, notre berceau.
Deux patrimoines qui s’épuisent en somme, intimement liés. Notre patrimoine culturel nous permet de nous élever, prendre conscience, penser le monde, prendre de la hauteur, agir. Ré-agir.
De même que les personnages du Cid (les plus jeunes en tous cas) ressentent viscéralement leurs désirs et la direction qu’ils veulent donner à leur existence, de même qu’ils se sentent accablés par le poids phénoménal de la morale, du système en somme, peut-être avons nous comme choix de désirer notre avenir plutôt que le subir, de l’idolâtrer voire de le fantasmer plutôt que de l’aborder comme une fatalité ?
Le Cid est un monument éparpillé dans les mémoires. Nous le reconstruisons avec ce que nous sommes et ce que nous avons et qui peut encore servir : des comédien·nes, un musicien, des marionnettes, des sons et une vielle guitare, des malles, du carton et des voiles, des bouts de costume et des napperons… Pour qu’il ne reste pas figé et qu’il nous parle de notre époque. Pour donner à entendre et à voir.